« Selon le poète Elias Canetti, « Toutes les choses que l’on a oubliées nous appellent à l’aide dans les rêves. » Pour les anciens Egyptiens, ce sont des prophéties, et dans le folklore mondial, elles ont souvent marqué les visites des morts. Pour Freud, ils étaient l’expression de désirs refoulés et pour Jung des représentations imagées de la dynamique globale de la psyché. Bien qu’il y ait encore beaucoup de désaccord sur l’importance et la fonction des rêves, ils semblent servir comme un baromètre de l’esprit actuel et les états du corps. » (D. B., Trauma and dreams, Introduction)
Quand ce livre est sorti il y a près de 20 ans, il n’existait rien d’autre sur les effets du traumatisme psychologique en relation avec la production onirique. Désormais beaucoup de livres et d’articles de revues traitant du sujet recyclent surtout du matériel de Trauma and Dreams. Ce livre collectif surprend par une approche globale complète et bien écrite. Il aborde de manière claire la façon dont on peut transformer les cauchemars récurrents en rêves de maîtrise positifs grâce à la reprise des images de ces rêves. Les exemples cités – les cauchemars qui succèdent au trauma et les rêves de guérison qui jalonnent une thérapie – sont plus riches et mieux décrits que ce que l’on peut lire partout ailleurs. Un observateur a écrit que certains chapitres sont si denses que seuls des spécialistes pourraient les aborder. En poursuivant la lecture on constate cependant que la présentation est claire, limpide et abordable par quiconque. C’est, à ce jour, le meilleur livre sur le traitement du syndrome de stress post-traumatique.
Deirdre Barrett associe des écrits de plusieurs contributeurs sur l’étude des rêves et sur la psychologie du traumatisme. Elle fait appel à un groupe de psychiatres, psychologues et travailleurs sociaux – dont Rosalind Cartwright, Robert J. Lifton et Oliver Sacks – pour montrer comment le traumatisme forge le récit du rêve et ce que l’esprit rêvant peut révéler de ce traumatisme. Le livre se concentre sur les événements catastrophiques, tels que les témoignages de combat, la torture, les catastrophes naturelles et le viol. Les effets durables des traumatismes de l’enfance, tels que l’abus sexuel ou les brûlures graves, la formation de la personnalité, la nature des souvenirs du traumatisme précoce et le développement de défenses liées à l’amnésie et à la dissociation sont tout autant abordés. On y trouvera également les récits des traumatismes et des rêves de vétérans du Vietnam souffrant du syndrome de stress post-traumatique, les témoignages de survivants de l’Holocauste, de victimes de viol et de survivants d’incendies. L’ouvrage se conclut en examinant les sources potentielles de traumatismes de la vie quotidienne, divorce, deuil, maladie grave.
Deirdre Barrett a rendu un précieux service aux psychiatres, psychothérapeutes et professionnels de la santé mentale qui travaillent pour aider les victimes de psycho-traumatismes et qui cherchent des pistes d’approche. Le livre démontre de façon frappante, et souvent émouvante, comment les rêves et les cauchemars peuvent jouer un rôle clé dans le traitement des personnes victimes des diverses expériences catastrophiques telles que les abus sexuels, les catastrophes naturelles, les combats et les tortures liés à des conflits politiques. Le livre suggère que l’étude des thèmes et des modèles communs dans les cauchemars des victimes de traumatismes peut déclencher un intérêt nouveau sur la nature générale et le fonctionnement des rêves. Comme le dit Barrett dans son introduction, « Bien que de nombreuses données cliniques concernant les rêves et les traumatismes aient été rassemblées ces dernières années, cette information n’a pour la plupart été rapportée que lors de présentations à des réunions professionnelles, alors que peu a été écrit sur ce sujet. La ségrégation est également évidente : la moitié des données est présentée aux sociétés de traumatologie et l’autre moitié à celles qui s’occupent des rêves. Le but de ce livre est de diffuser aux spécialistes des rêves, aux thérapeutes des traumatismes et aux autres lecteurs un travail qui a prouvé sa pertinence dans le domaine du traitement des psycho-traumatismes. (p. 4) Trauma and Dreams tient sa promesse en rassemblant dix-sept chapitres écrits selon des perspectives théoriques et cliniques très divergentes. Chacun des auteurs propose des études de cas convaincantes, des arguments théoriques stimulants et des suggestions pratiques sur l’utilisation de rêves pour améliorer la thérapie et le conseil aux personnes qui ont subi un traumatisme.
Parmi les nombreux points saillants du livre, citons l’étude exhaustive de Kathleen Nador sur les rêves traumatiques des enfants, l’évaluation de Belicki et de Cuddy sur la façon dont le sommeil et les rêves peuvent aider à identifier les témoignages de traumatisme sexuel, l’analyse jungienne poignante de Adrian Aron : « Cauchemars collectifs de réfugiés centraméricains », la revue attentive de Antonio Zadra de la littérature sur les rêves récurrents, et le fascinant chapitre de D. Barrett sur les rêves des personnes souffrant du syndrome de personnalités multiples.
Quiconque s’intéresse aux relations entre les rêves et les troubles psychologiques graves trouvera beaucoup à apprendre de ce livre. Comme avec la plupart des anthologies éditées, la diversité des expressions relatées dans Trauma and Dreams crée quelques difficultés. Beaucoup de lecteurs, tout en appréciant profondément les articles individuels, peuvent avoir du mal à intégrer les différentes perspectives présentées dans une sorte de compréhension globale de la relation entre le psycho-traumatisme et les rêves. Certains chapitres présentent des contradictions apparentes au regard de l’ensemble des avis exprimés, ainsi P. Lavie et H. Kaminer posent la question de savoir si, pour des rescapés de l’Holocauste, il ne vaut pas mieux oublier, se passer de tout écoute des rêves, éviter de les interpréter. (« Dormir, rêver et faire face pour les survivants de l’Holocauste »)
À première vue, la théorie de Lavie et Kaminer sur la valeur éminemment salvatrice de la répression des rêves semble contredire les opinions de nombreux autres contributeurs, qui affirment en revanche qu’il est très utile pour les victimes de traumatismes de partager et d’exprimer rêves et cauchemars.
La contradiction est apparente mais le moyen de la résoudre réside dans la prise en compte du facteur temps – le temps écoulé depuis le trauma – du facteur ethnique – le milieu est-il propice à une revisitation de l’histoire collective ? Des questions semblables se présentent en France, par exemple, en ce qui concerne les rescapés de massacres perpétrés par l’armée française durant ce que l’on a nommé « les événements », ou ce qui se nomme la « Guerre de révolution » côté algérien. La contradiction n’apparaît que quand la culture, le facteur ethnique ne permettent pas la guérison. Quand la société se réfugie dans le déni de sa propre histoire comment un individu peut-il seul affronter le refus de l’histoire collective ? Il aurait été intéressant de voir les auteurs eux-mêmes ou D. Barrett, aborder cette question et d’autres de portée collective ou historique soulevées par leurs différentes approches du traumatisme et des rêves. La dimension anthropologique et politique n’est pas abordée mais le pouvait-elle en si peu de pages ? Trauma and Dreams peut devenir une référence dans l’usage clinique des rêves pour l’approche des psycho-traumatismes. Comme le démontrent malheureusement les collaborateurs du livre, nous vivons dans un monde où d’innombrables personnes souffrent terriblement d’un grand nombre de traumatismes. La publication de cet ouvrage collectif dirigé par D. Barrett nous donne d’excellents outils pratiques pour les soins et le traitement de ces victimes. Notre appréciation sur le rôle puissant des rêves dans la guérison et l’évolution personnelle s’en trouve approfondi.
Deirdre Barrett a aussi présenté un travail conséquent sur la puissance de l’imaginaire et l’écoute attentive de ce qu’il nous propose dans une perspective tant de compréhension de soi que d’approche thérapeutique du psycho-traumatisme Son compte Facebook présente de magnifiques productions graphiques qui traduisent les contenus de nombreux rêves. Elle rejoint en cela le travail non moins formidable de C. Jung sur l’Imagination active, dont nous aurons à reparler dans ces pages. Ouverture intéressante sur les potentialités de l’Art Thérapie.
Ensemble, ces diverses perspectives éclairent les effets universels et singuliers de l’expérience traumatique. Pour les médecins et les cliniciens, la prise en compte de l’étiologie des cauchemars offre de précieuses connaissances diagnostiques et thérapeutiques pour le traitement individuel. L’ouvrage fournit un outil pour associer la recherche dans les domaines distincts du trauma et des rêves, et d’apprendre ainsi de leurs découvertes.