Face aux traumatisme, le
travail du rêve
Cet article fait suite à l’article la Métaphore, les émotions et les rêves
1 – Le travail du rêve
Nous aborderons ici les différentes catégories de rêves que nous avons rencontrées. Nous ne tenons compte que de ceux qui sont chargés d’une énergie significative. Soit parce qu’une émotion en rend le contenu remarquable soit parce que le récit contient des éléments sensibles : couleur, sons, odeurs, etc. Les rêves « blancs » sans aucun affect ou sans aucune marque sensitive ne seront pas pris en compte. À l’expérience on constate que leurs contenus réapparaissent à d’autres moments du parcours du sujet.
- · Les rêves flash, ils sont très courts, souvent puissamment chargés en affects ou en éléments sensibles ;
- · Les rêves scénarisés. Ils se construisent selon un scénario précis dont nous détaillerons le rythme ;
- · Les rêves qui révèlent dans leur scénario différents niveaux de conscience onirique ;
- · Les rêves lucides spontanés, bien plus fréquents qu’on le supposerait. Ils révèlent une disposition spontanée de l’organisme de communication entre les différents niveaux de conscience ;
- · Les rêves récurrents. Ce sont ceux dont les éléments réapparaissent régulièrement. Parfois, seuls certains thèmes réapparaissent dans des rêves au contenu différencié ;
- · On fait mention des cauchemars tout en précisant qu’ils pourraient se ranger dans l’une ou l’autre des catégories précédentes. Seule la charge émotionnelle intense les distingue.
Les rêves sont liés à l’organisation complexe des systèmes régulateurs, ils évoluent dons avec l’âge, de la petite enfance à la mort.
Le plan du sujet, le plan de l’objet
« Chaque rêve présente un drame intérieur dans lequel nous sommes à la fois le ou les acteur(s), le décor et le ou les spectateurs. Si, dans mon rêve, je suis, par exemple, poursuivi par un taureau, c’est que je me trouve en présence de mon affect à l’image de la bête, donc d’une colère sauvage dont je ne suis pas, ou pas assez conscient. Cette manière de prendre le rêve constituait pour Jung l’interprétation ”sur le plan du sujet“, puisque toutes les images du rêve y représentent une partie de la psyché du sujet.
Cette approche permet l’interprétation la meilleure des rêves et celle qui, dans la plupart des cas, touche juste. »
(Marie-Louise von Franz, Rêves d’hier et d’aujourd’hui, Trad. de l’allemand par J. Blumer, Albin Michel, 1992)
Dans certains cas, le rêve doit être travaillé sur le ”plan de l’objet“. Les éléments qui le composent renvoient à une réalité physique objective. C’est ce qui arrive quand le sujet est soumis à un stress intense, qu’il est affecté par un trauma ou par un trouble physiologique important, atteinte virale, atteinte d’un organe, etc. Ce sont des moments où l’organisme est en alerte pour permettre à la Conscience de prendre des mesures de préservation.
Les sujets victimes de trauma ou ceux fragilisés par une période tourmentée méritent que l’on s’arrête au contenu de ces rêves sous un autre angle. L’organisme est mobilisé pour préserver son équilibre. La Conscience est alors en état de fragilité et il faut parfois cesser complètement de travailler sur le contenu des rêves et plutôt faire en sorte de consolider l’état conscient du sujet. Les thérapies cognitivo-comportementales montrent leur pertinence dans ces circonstances.
Préalables au travail du rêve, la syntaxe
Dans ce chapitre, nous aborderons la manière dont un rêve se construit. Si les éléments acteurs du rêve appartiennent au rêveur, certains thèmes sont partagés au sein de l’espèce. Les exemples de rêves qui suivent seront abordés sous l’angle d’une sorte d’analyse littéraire. D’abord la syntaxe et le style, sans aller plus loin à tenter d’en extraire le sens pour le sujet.
L’analyse syntaxique du rêve consistera à en analyser des éléments de façon ordonnée. Comme en linguistique, nous allons scinder tous les éléments et les expressions en différentes parties afin d’en étudier les relations et les significations. Les significations découleront de l’amplification que le sujet en fera. Par exemple, dans un de ses rêves, Ester (voir plus loin) est inquiète car elle ne sait pas si elle aura assez de provisions pour nourrir ses invités. Elle ouvre son frigo – c’est le prédicat en linguistique, nommé ici, la ligne d’action. Il est plein, elle est soulagée, la tension s’abaisse.
Il est fréquent que cette simple analyse syntaxique suffise à éveiller chez le sujet de nombreuses associations qui éclairent alors spontanément le sens du rêve. Ce dévoilement autonome et personnalisé se suffit en lui-même.
Les premières questions concernent l’insertion du rêve dans le cours de la vie du sujet. Leur contenu est-il lié à un contexte particulier, à des événements singuliers, conscients ou inconscients ? L’assemblage des images du rêve est-il si hétéroclite et vain que d’aucuns le disent ?
Que viennent faire certaines émotions dans les rêves, pourquoi ces émotions et pas d’autres ? Pourquoi certaines se répètent-elles de façon cyclique dans des constructions d’images différentes ? Pourquoi certaines images reviennent-elles périodiquement associées à des émotions différentes. Pourquoi certains personnages paraissent négatifs dans certains rêves et positifs dans d’autres parfois durant la même nuit ? On pense par exemple à la fugue de pères incestueux qui peuvent apparaître sous des traits favorables et très toxiques dans d’autres ? C’est à ne rien comprendre ! Existerait-il cependant une logique qui échapperait à notre entendement causaliste ?
Les archéo-anthropologues se posent les mêmes questions devant l’assemblage des dessins pariétaux et leur interprétation divisent les observateurs. Le sens de ces dessins gravés parfois durant des millénaires sur les mêmes parois, aux mêmes endroits intriguent et agacent…
Les images intérieures, qu’elles apparaissent durant les phases d’éveil ou durant le sommeil surprennent la raison. Elles ont cependant leur logique et il s’agit d’en saisir le sens. Et pour en saisir le sens on doit apprendre à connaître le producteur du rêve, celui que j’appelle le Gardien du Sommeil. Ce dernier est la voix de l’Organisme.
D’après nos connaissance sur les bases neurales du rêve, y sont mis en exergue des moments de la journée précédente voire plus tôt encore, des instants de conscience
dont le contenu et la charge émotionnelle ont échappé à l’attention du sujet.
Si l’on poursuit l’observation grâce à un questionnement pointu – on ne laisse échapper aucun détail, on constate que le récit de ces instants émotionnellement chargés sont dotés d’une portée significative à l’instant où ils apparaissent. C’est le travail d’amplification qui dévoilera ces significations. Qu’il s’agisse de prendre une décision, ou qu’il soit pertinent d’engager telle ou telle action… S’agissant d’action, il est question de reformuler des raisonnements, changer l’orientation de décisions déjà engagées ou d’un nécessaire retour sur soi par introspection. Pourtant ces instants ont échappé au sujet trop préoccupé par d’autres impératifs immédiats. Le rêve attire l’attention du sujet sur ces moments-là pour en interroger les contenus, revenant sur les moments de la veille, piochant dans sa mémoire. Cette investigation n’est pas toujours aisée, notamment quand le sujet se trouve à un moment difficile pour lui ou que cela ne lui paraît pas digne d’intérêt. Ce n’est qu’avec un peu d’entraînement que la tâche de re-mémorisation est rendue plus aisée. Le rêve fait partie d’un ensemble plus vaste que sa seule présence au cours du sommeil. Il n’est pas isolé, il s’intègre dans une histoire, un contexte et un état singulier de l’Organisme.
Il s’intègre de manière cohérente à la chaîne évoquée par A. Damasio qui va d’un stimulus interne ou externe à l’émotion puis au ressenti de l’émotion en passant par différentes cartes de l’organisme et qui parvient en fait à la mise en place d’une action pertinente. Laquelle serait la réponse la plus juste pour l’équilibre de l’organisme – principe d’homéostasie. Les différents éléments du rêve qui constituent le récit et que nous soumettons à l’analyse syntaxique sont : L’histoire, le récit, ce que raconte le rêve, les affects liés à chaque ligne du récit, le rythme, sa cadence, sa répétition, le mouvement associé à la ligne d’action et enfin la succession des actions du rêve qui révèle l’insertion dans le temps du sens du rêve dans la réalité du sujet. « Que vais-je en faire ? »
L’histoire
L’histoire racontée dans le rêve parle au sujet et seulement à lui-même. Elle le raconte même. Le style de l’histoire dit quelque chose de la personnalité du sujet. Pa exemple, si l’on se réfère aux types psychologiques, nous devons distinguer deux manières d’investissement de l’énergie psychique, vers l’extérieur ou vers l’intérieur. Ensuite cette énergie se développe selon deux autres types de modalité, l’une rationnelle, l’autre irrationnelle. Au sein même de cette spirale, nous trouvons des couples de fonction : Intuition/Sensation et Pensée/Sentiment. Chacun des éléments du couple étant « opposé à l’autre ». On entend par opposés qu’ils ne peuvent pas entrer en jeu dans le même temps mais que le sujet doit développer une certaine vigilance pour que chacun puisse trouver une place pertinente en s’intégrant à la conscience. (Les types psychologiques, C. G. Jung)
Les sujets de type pensée, fortement marqués par la raison livrent des histoires de rêves très incohérents, burlesques, hétéroclites… Les sujets de type sentiment nous rapportent des récits construits, qui peuvent parfois ressembler à des scénarios très élaborés. Même si, au regard de nos cultures, l’histoire ne veut rien dire. Il y a une
construction palpable et un style, comme une signature propre.
Les sujets de type sensation nous rapportent des rêves impressionnistes. Eux seuls semblent s’y retrouver, ils paraissent flous, un peu comme le serait la description d’un paysage d’automne sur les landes d’Ecosse.
Les personnalités de type intuition nous rapportent des rêves, souvent sans queue ni tête mais très contrastés, chaque phase du récit sera marquée fortement. Cela ressemble plutôt aux stèles égyptiennes. Les personnages sont nettement gravés, les couleurs bien accentuées, mais on a du mal à voir un fil.
On pourrait continuer en affinant ce tour d’horizon caractérologique en évoquant, par exemple, les sujets rigides, sans humour qui font des rêves rigolos, où la fantaisie apparaît grimaçante, etc. Parfois, en écoutant ces récits, on se dit que l’inconscient – celui des psychanalystes – se moque du sujet, ou bien qu’il relève avec sérieux ses petits travers.
Le facteur ethnique
De nombreux auteurs affirment qu’il est très utile pour les victimes de traumatismes de partager et d’exprimer rêves et cauchemars. L’expérience des groupes de parole, les ateliers d’écriture centrés sur ces thématiques confirment ces affirmations. Si l’on adopte différentes perspectives associées dans une sorte de compréhension globale de la relation entre le psychotraumatisme et les rêves on est conduit à introduire le facteur temps comme une donnée déterminante de l’histoire du sujet. Il s’agit là des influences sociales collectives qui façonnent les représentations, lesquelles imprègnent alors les contenus oniriques. Dès lors, tenant compte de l’imaginaire
collectif, le facteur ethnique ne peut plus être ignoré. Quand la société se réfugie dans le déni de sa propre histoire comment un individu peut-il seul affronter le refus de l’histoire collective ?
Ces questions se posent en France, par exemple, en ce qui concerne les rescapés de massacres perpétrés par l’armée française durant ce que l’on a nommé « les événements », ou ce qui se nomme la « Guerre de révolution » côté algérien. Se pose aussi la question des générations intégrés à la culture européenne mais issus de parents appartenant à des ethnies soumises à l’occupation coloniale.
Envisager la dimension anthropologique et politique comme génératrice d’images et de représentations différentiées est inévitable.
Le souvenir d’un cheminot d’origine algérienne qui avait été interné à l’hôpital psychiatrique Marcel Rivière suite au grave déraillement d’un train de marchandises de passage à la grande gare de triage de Trappes. Catatonique, il était totalement mutique, inaccessible aux thérapies classique fondées sur le verbe. Stagiaire à l’époque et me sachant bilingue, on m’avait proposé de le prendre en charge. Dans le peu de paroles confuses qu’il m’avait livrées, un rêve m’avait frappé : Il était chez lui, dans le djebel de petite Kabylie, parti dans la montagne pour rentrer son troupeau de chèvres, il constatait, effondré, que tout son troupeau avait été décimé par un incendie dans la forêt proche. Le médecin chef auquel j’avais rapporté ce rêve l’avait accueilli par la réplique suivante : « Il est évident qu’il est en pleine psychose ! »
Actuellement, je considèrerais ce rêve autrement que marqueur d’une psychose. Il y a dans les images d’incendie, dans le récit même du rêve, en contradiction flagrante avec la réalité physique – le déraillement du train –, une autre réalité psychique qui s’exprime, plutôt ouvrant une voie de guérison. Ce qu’il ne pouvait dire, le Gardien du sommeil le disait à sa place. On pouvait entamer un échange sur ces bases.
Cela rappelle les avancées d’Eva Thomson, dans Waking, dreaming, being, (Columbia University Press, 2014), Elle montre, par exemple, comment certains courants de la tradition bouddhiste remettent en question certains modèles scientifiques, dont celui du rêve comme hallucination ou du sommeil profond caractérisé par l’absence totale de conscience. Le rêve serait par exemple bien plus l’affaire d’un monde imaginé
où nous nous identifions totalement à ce que Thompson appelle notre « dream ego ».
Didier Anzieu, dans « Les esquimaux et les songes » (Revue française de psychanalyse, Tome XL – janv.-Févr. 1976) rapporte que « Pour les Esquimaux, un rêve isolé est comme serait pour nous de lire une phrase séparée de son contexte. L’ensemble des songes d’une nuit dans un même igloo est considéré comme un seul discours tenu par la collectivité à travers chacun de ses membres. La notion de sujet individuel n’est en effet dans cette civilisation ni très assurée ni très admise. » Les rêves partagés par deux habitants de l’igloo sonnent comme l’annonce d’un événement collectif. Pour les Inuits et les Sámis, un rêve qui n’implique pas le groupe n’a aucun intérêt. Dès qu’il intègre des occupants de l’igloo, toute la communauté est intéressée.
« Ainsi une jeune fille rêve que son voisin profite de son sommeil pour forcer la porte de son alcôve (dans la réalité, rappelons-le, les goahtis – habitat traditionnel – n’ont ni portes ni tentures) et se glisser sous sa peau de phoque. Elle montre même la trace rouge laissée sur son bras par le brutal contact de l’homme. L’homme de son côté a rêvé qu’il poursuivait un renne femelle et qu’au moment de plonger le couteau dans le cœur de la bête celle-ci s’est transformée en jeune fille. Il a eu alors le plus grand mal pour amortir l’élan de son geste et il a vu avec effroi quelques gouttes de sang couler. La conclusion est claire pour l’auditoire. A la fin du printemps, quand la vie extérieure reprendra, l’homme et la jeune fille deviendront mari et femme. Par ces deux rêves mutuels, ils ont échangé leur consentement et symboliquement effectué la défloration qui les unit désormais devant la tribu. Symboliquement, car il y a longtemps que la jeune fille n’est plus vierge, ayant été prêtée à ses hôtes, l’été, peut-être plus de trente fois depuis qu’elle a eu ses premières règles. Mais jamais encore elle n’a partagé le commerce de l’amour avec un autochtone. » (Ibid)
L’affect
Les affects des rêves sont importants car ils orientent l’investigation qu’il faudra mener pour saisir la voie que le rêve trace à l’intérieur des réseaux complexes de tout l’organisme. Or la manière dont ils sont perçus – feeling – place l’observateur devant un problème parfois compliqué. Il faut souvent toute une gamme de mots, de métaphores et d’images pour rendre compte parfois d’un seul affect que le sujet perçoit parfaitement mais pour lequel il manque de mots. Traduire le ressenti est donc tout aussi important que l’affect lui-même car plus l’on approche de sa valeur profonde plus il y a de chance que s’ouvrent les portes de la mémoire et que rebondissent de nombreuses évocations qui élargissent le champ de l’histoire du moment. Il ne sert à rien de réduire le ressenti de l’émotion à quelques éléments simples du vocabulaire
commun : peur, tristesse, joie, surprise, etc. Nous devons tenter de travailler au dévoilement de la spécificité d’un moment pour un individu singulier. Il s’agit de dévoiler l’image la plus exacte possible de plusieurs cartes corporelles (Damasio) superposées, des niveaux les plus archaïques aux étages les plus différenciés de la conscience. Un moment unique en un temps donné. Quelques jours plus tôt ces cartes étaient différentes, quelques jours plus tard, elles auront changé.
L’affect et le ressenti de l’affect sont à l’épicentre du rêve, lui-même médian dans une grande boucle de l’organisme, corps-cerveau-conscience et retour. Le rêve semble tenir lieu de double de l’émotion telle que l’entendent les neurologues. Les « émotions contribuent à la survie et au bien-être des individus et des groupes en fournissant aux organismes, des moyens automatisés et rapides pour contourner les dangers et tirer parti des opportunités ». (Damasio, 2012, Scholarpedia, Neural basis of emotions) Elles sont, au sein de l’organisme, les voix de l’instinct. Le rêve, par contre, ou par suite de l’évolution, est une sorte de transmission directe à la conscience étendue (Damasio) des voix des instincts.
Il est possible que, par suite des mutations successives des espèces, l’espèce humaine ait dû développer une autre voie que celle de l’émotion pour agir de manière pertinente face à une action quelconque de l’extérieur ou face à un trouble intérieur. On voit apparaître le sommeil paradoxal en même temps que la capacité des organismes à réguler leur température. Peu à peu, au fur et à mesure que les organismes se complexifient, leur programme d’action, encrypté dans le génome et affiné dans la rencontre à l’environnement, doit évoluer lui aussi. Les actions réactives ne dépendent
plus seulement d’un accès direct à l’instinct. L’action automatique d’un instinct programmé manque de souplesse et de faculté d’adaptation. Le rêve et ce qu’en fait la Conscience semblent ouvrir des voies spécifiques à l’espèce humaine. Le rêve raconte l’état de la relation de notre conscience avec le reste de notre organisme – l’inconscient, selon la vieille formule désuète. Le rêve nous fait part de la meilleure voie possible vers une plus grande harmonie entre nous et notre environnement global.
Les affects sont particulièrement puissants quand il s’agit de s’attarder sur une situation qui pourrait s’avérer préjudiciable à notre bien-être.
- Un homme, la soixantaine, se réveille très angoissé après un cauchemar dans lequel il se noie au milieu de sa salle de bain, toutes les tuyauteries d’évacuation sont bouchées, il est impossible de fermer les robinets d’arrivée d’eau.
Peu de temps après, pris de violentes douleurs abdominales, il appelle les urgences. Il sera opéré d’une sténose du pylore.
Est-ce que le rêve l’a mis en alerte ? Sans ce rêve aurait-il tardé à appeler les urgences ?
Nous avons vu plus haut combien il était important de s’attarder sur les valeurs spécifiques des affects et des émotions. Amplifier chaque affect, par des analogies ou des métaphores facilite le lien entre ce que dit le rêve et ce que le sujet veut bien entendre. Ce travail de transposition crée une porosité très fructueuse entre les différentes strates de l’organisme, comme s’il se créait une voie de communication entre la conscience et les strates de la profondeur. La valeur, puissance et qualité, des affects est particulièrement importante quand il s’agit d’accompagner des rescapés∙es de traumas anciens ou récents. Cet accompagnement suit des cycles particuliers tout au long de la thérapie. Cela sera abordé dans une section dédiée.
Rythme
Le contenu des rêves se construit sur un rythme, comme une mélodie.
Un rythme intérieur, le tempo, celui du récit et un rythme sur le temps, la cadence, qui dépend probablement des cycles de vie du sujet.
Le rythme intérieur
Le récit de certains rêves se découpe le plus en trois épisodes.
La première phase, le prologue, nous donne à entendre l’état des lieux. Situation émotionnelle, comportementale, ce que mérite l’attention du sujet sur la situation du moment…
Elle s’ouvre sur la deuxième partie du rêve, la ligne d’action, qui raconte comment nous réagissons dans ce moment particulier. Est-ce que nous fuyons devant une menace, ou bien tentons-nous héroïquement d’y faire face en éliminant courageusement cette menace ? (Méfions-nous de ces épisodes héroïques, ils sont souvent la marque d’une grande rigidité d’esprit. Ou bien ils signalent tout le contraire, à savoir la grande couardise de notre conscience face à ces mystérieux assauts provenant des profondeurs de notre esprit.)
Le troisième pan du cycle nous dévoile un possible épilogue, une sorte d’ouverture ou de perspective. L’état émotionnel du moi-rêvant peut changer dans l’épilogue. Le rêveur, par exemple, sera très fier de sa victoire, ou d’avoir fait face, ou d’avoir terrassé le monstrueux agresseur.
Le rêve de Noémie
- Un océan agité. Une tempête. Il faut fuir, se réfugier. Les sirènes nagent se nicher dans une grotte au creux d’une crique. Nous descendons dans les profondeurs, dans une poche d’air, telle une nouvelle strate au cœur de la Terre. À mes côtés, un ami repose inconscient. De temps en temps, je remonte à la surface, toujours dans la grotte, car l’air me manque – je sens comme un étau compresser mes poumons et minimiser mon souffle (en fait, je manque d’air dans la réalité car j’ai le nez très pris). Je me retrouve alors au milieu des autres hommes-poissons, qui attendent que la tempête passe.
[Un océan agité… strate au cœur de la Terre.] Dans ce prologue la situation de la rêveuse s’annonce. Après avoir été violée par son médecin, son monde s’est effondré, décrochage scolaire, obligée de changer d’école, troubles des comportements alimentaires. S’en est suivi une période dépressive. Ce n’est pas une « descente » aux enfers mais dans les profondeurs des strates de la terre.
[À mes côtés, un ami … minimiser mon souffle] La phase d’action. Ici, plutôt absence d’action qui signale une stase permettant de voir venir.
[Je me retrouve alors au milieu … que la tempête passe.] La position d’attente est assumée. On attend la fin de la tempête. Clairement le Gardien du sommeil indique la meilleure manière de traverser ce moment tragique, attendre que la tempête passe…
Le rythme dans le temps
Quelques-uns de nos rêves se répètent en valeur émotionnelle et en contenu durant un certain temps, quelques semaines voire quelques mois. Le Gardien du sommeil tend à insister un thème particulier. Il s’agit d’en déceler le sens.
Ces rêves dont le thème se répète signalent le danger d’une forme d’unilatéralité de la conscience, un entêtement à répéter la même erreur dans des circonstances identiques, à entretenir les mêmes biais cognitifs. Mais ils peuvent aussi dévoiler une situation qui inhibe dangereusement les capacités d’action de l’Organisme. Le scénario de ces rêves est souvent assez bref, associé à une émotion intense, de valeur constante que le sujet reconnaît rapidement.
- Une femme rêve qu’elle parcourt un dédale de rues sans jamais trouver son chemin, ni savoir ce qu’elle fait là.
Ces rêves reviennent régulièrement jusqu’à ce qu’elle décide d’une action qui changera son positionnement relationnel et social. À partir de ce moment elle retrouve le labyrinthe mais elle y aperçoit plusieurs sorties. Plusieurs semaines après avoir pris la décision d’agir, plusieurs solutions se présentent pour résoudre le problème auquel elle était confrontée.
- Une autre femme rêve qu’elle est dans une maison qu’elle ne reconnaît pas. Il y fait sombre, elle est inquiète et oppressée. La panique la réveille. Le rêve se répète durant plusieurs nuits sur des semaines.
Nous lui conseillons de s’endormir en se répétant jusqu’au sommeil : « Je vais vaincre ma peur. Je veux voir ce qu’il y a dans cette maison. » Elle se conforme à cette consigne et après plusieurs essais infructueux, la topographie de la maison change même si l’obscurité demeure. Elle aperçoit un mince filet de lumière sous une porte. Elle se dit qu’avec un peu de courage elle pourrait ouvrir cette porte. Elle y trouve un chien famélique qui frétille de joie en la voyant. Elle se demande ce qu’elle va faire. Elle ne veut pas s’encombrer d’un animal. Mais elle perçoit au fond d’elle-même qu’il est
impérieux de s’occuper de ce chien.
Si on travaille de manière pertinente la matière de ces rêves, le thème principal se
répète mais sa valeur change peu à peu. À moins qu’une issue se dessine.
Rêves d’Ester
Premier rêve
- Fragment : Elle est au volant d’une voiture, soudain un homme se glisse à ses côtés, place du passager. Il ne paraît ni malveillant ni menaçant. Soudain il tente de la toucher, approchant les mains de ses seins de son sexe. Elle est envahie d’un violent dégoût. Envie de vomir. [Le rêve se poursuit.]
Deuxième rêve
- 10 jours après, qui a lieu la veille d’un épisode de rage dans le métro. Durant ce moment, un peu éméchée elle est prise d’une « envie de tuer ». Elle est dans son lit, maintenue par un homme, elle sent son bras en dessous d’elle, il lui lèche doucement le visage, alors elle le mord très fort pour se dégager de là, mais il continue. Elle saute d’un état de conscience à un autre en se réveillant dans sa chambre. Elle constate que deux de ses amis dorment par terre à côté de son lit. Elle parvient à allumer la lumière (elle souligne que c’est rare dans ses rêves), elle essaie de comprendre pourquoi ils sont là et elle se demande pourquoi elle ne leur a pas laissé son lit, pour plus de confort. Elle apprend qu’ils ont fait une fête la veille. Le matin, il y a plein de monde chez elle, comme s’ils allaient “boire l’apéro à 10h du matin”. Elle s’inquiète de ce qu’elle a dans son frigo pour recevoir tout ce monde convenablement. Soulagée elle constate que le frigo est plein.
Troisième rêve
- Il survient quelques jours après : Elle est dans son lit, dans une chambre qui est la sienne sans ressembler à la sienne. Un homme plus âgé est au bout de son lit, il a un sourire qu’elle qualifie de “pervers”. Mais elle n’a pas peur. Elle lui envoie un coup de pied dans la tête et l’agresse physiquement jusqu’à le faire passer par-dessus la fenêtre. Il s’accroche au bord de celle-ci au début, mais elle réussit à le faire tomber. Elle est au 3ème ou 4ème étage, alors que dans la vraie vie elle habite au 1er étage. Elle sort par la fenêtre et se transporte (il n’est pas dit comment) chez une amie à qui elle rapporte cette mésaventure… (Le rêve se poursuit)
On peut aussi noter des variations dialectiques entre des thématiques complémentaires, telles que la dialectique Féminin/Masculin ou Yin/Yang. Par exemple, une série de rêves qui relatent l’état de notre relation avec notre père – même si, dans la réalité, il ne se passe rien de notable de ce côté, puis soudain plus rien. Dans ces moments, je me dis : « Nous avons maintenant le père, nous aurons bientôt la mère ! »
Ça ne rate jamais !
Une jeune femme rêve durant quelques semaines de figures féminines. Différents modèles du féminin se sont présentés. Soudain, plus rien, tout au moins le Gardien du sommeil passe à autre chose. « Nous aurons bientôt droit à des figures masculines ! »
Bernadette, dans un moment incertain de son identité de genre, va rêver durant plusieurs semaines de son père avec lequel elle n’entretient pas les meilleurs rapports. Les rêves lui montrent néanmoins plusieurs facettes de ce père qui contredisent les représentations que sa mère lui a transmises. Elle semble ne pas tenir compte des contenus qui se dévoilent ainsi. Elle oppose même un déni féroce à ce qui se dévoile ainsi. Mais, dans les mois qui suivent, la relation à sa mère se détériore, tout au moins celle-ci prend une nouvelle tournure. Alors que jusque-là elle évitait de parler librement avec elle, voilà que les inhibitions se lèvent et elle ose aborder des sujets tabous : la vie de couple de ses parents, les raisons de la séparation, ce qu’il s’est passé après avec les enfants, etc.
Et voilà que des rêves nourrissent une véritable salve où la mère joue différents rôles qui conduisent Bernadette à revoir l’image qu’elle avait de sa mère, une certaine façon de se poser en victime du père souvent présenté comme seul responsable de ce qui est advenu après la séparation.
Des prises de conscience successives qui la conduiront à modifier les représentations qu’elle s’était faite du masculin et du féminin. Auparavant dans une dynamique d’opposés maintenant une dialectique d’interaction plus harmonieuse. Cette navette du masculin au féminin, qui aura duré plusieurs mois, s’avèrera déterminante dans sa vie.
Une autre rythmique des complémentaires, le vide et le plein
- Un jeune homme, en pleine construction de son indépendance, après des années d’adolescence à la charge de ses parent fait le rêve suivant : J’arrive dans un immeuble qui ressemble à la cité universitaire mais c’est dans un autre quartier plus populaire. Je n’arrive pas à me repérer. Je finis par trouver mon appartement. Je suis surpris de trouver un grand désordre. Ce n’est pas sale, juste un vrai bordel dans la cuisine, le salon… J’essaie encore de me repérer, je trouve la chambre. J’ai un choc. Vide ! Je me réveille.
Le rêve ci-dessus dévoile de manière efficace le passage de la vie d’étudiant à l’indépendance nouvelle de ce jeune ingénieur fraîchement diplômé. Désormais sorti de la dépendance financière de ses parents au cours de laquelle il ne lui est pas apparu nécessaire de mettre de l’ordre dans sa vie, plutôt à se laisser porter. Le voilà désormais à devoir remplir ce vide nouveau du jeune adulte lancé dans la vie.
D’autres rêves évoquent la profusion, des personnages, un paysage de type tropical, etc. Puis après une phase de silence on passe au désert, des rocs silencieux, des paysages inquiétants de solitude et de silence dans lesquels il faut fouiner pour repérer la vie… Autant de figurations métaphoriques qu’il conviendra d’amplifier.
Le monde que le sommeil et les images intérieures nous donnent à voir est un vaste territoire à explorer. Noter les rêves, les dater soigneusement, en repérer le contexte sont autant d’outils qui permettent cette exploration.
Le mouvement et l’action dans les rêves
Le Gardien du Sommeil est le locuteur du rêve. Le rêveur est le récepteur d’un récit dont il partage les clefs – tous les éléments du rêve sont des signes qui lui appartiennent – avec le Gardien du sommeil. Le rêveur, le Moi-rêvant représente la conscience réflexive, agente de notre vie active.
La conscience réflexive, cette impression que « c’est moi qui perçois », est présentée comme la condition nécessaire à la conscience de soi, c’est-à-dire le sentiment d’être soi-même et pas un autre. Cette dimension autobiographique implique que nous puissions nous représenter des expériences conscientes dans le passé ou le futur, et nécessite donc la contribution de la mémoire et de nos fonctions supérieures permettant la conceptualisation abstraite et la planification.
Les échanges qui se produisent entre ces éléments, échanges verbaux, contacts et mouvement sont autant de manifestations des relations complexes qui s’établissent au sein de l’organisme entre des complexes de valeurs spécifiques. Ces échanges suggèrent la présence de voies de communication entre les fonctions supérieures de l’organisme et les fonctions archaïques plus proches de l’instinctivité.
Dans un de ses rêves, Ester mord l’intrus qui la terrasse. Puis elle le chasse. Cela lui indique que dans sa vie présente elle se révolte contre un complexe qui l’étouffe au sein de sa propre sphère intime. La colère lui permet ce sursaut qui permet l’action : chasser l’intrus.
Il s’agira donc, grâce à des questions sur ce qui se passe actuellement dans sa réalité, de définir les valeurs spécifiques de l’intrus. L’amplification qu’elle fera autour de cet intrus et des affects liés s’ouvrira sur de très nombreuses évocations de son histoire dans les mois qui ont précédé.
Le rêve de Noémie dévoile deux formes de mouvement : « Nous descendons dans les profondeurs, dans une poche d’air ». Puis « De temps en temps, je remonte à la surface, toujours dans la grotte, car l’air me manque ». Et enfin une phase de stase : « Je me retrouve alors au milieu des autres hommes-poissons, qui attendent que la tempête passe. »
Chacun de ses mouvements, après amplification correspond à ses attitudes pour faire face à une dépression qui fait suite à un violent traumatisme. Finalement le gardien du sommeil lui indique dans l’épilogue de se laisser aller à traverser ce moment dépressif en attendant que sa vie retrouve un rythme apaisé, quand la tempête émotionnelle se sera calmée.
Interlude
J’entends souvent : « Je ne rêve que de choses banales ! Des scènes de la vie quotidienne qui se répètent. Je refais le match ! »
Notre conception rationnelle du monde tend à banaliser le contenu de ces messages venus des profondeurs de l’être. Que nos lecteurs se rassurent, d’éminents scientifiques nous disent de même, avec toute l’autorité de leur science. Ils oublient qu’ils sont eux-mêmes des humains, confrontés aux affres du doute, de la détresse et des tourments de l’âme. Leur rationalité les rassure. On sous-estime ainsi la formidable puissance des forces profondes, on néglige leur possible potentiel de création et c’est ainsi que notre héros terrasse son agresseur. Sa conscience en ressort réconfortée, le narcisse reluisant et un état d’esprit de plus en plus rigide et conservateur.
Ces rêves que nous trouvons empreints d’une grande banalité se révèlent pourtant très instructifs. Derrière la banalité de ce quotidien se cachent de subtiles informations. Le diable est dans les détails, dit-on ! Le message est dans les détails. Une analyse minutieuse de ces rêves nous dévoile certains éléments qui, réunis, se présentent comme un rébus. Notre tâche consiste à méditer sur ce rébus pour en reconstituer le message. Ne négligeons pas ces rêves !
Les rêves, la mémoire et le temps
Certains rêves marquent le temps du sujet. Leur contenu finit toujours par être nettement distingué par la conscience même si elle ne saisit pas toujours la portée de ce marquage. Elle en a la simple intuition. Ces rêves reprennent souvent une thématique ou un fil de récit qui demeure quasiment inchangé mais au sein desquels les personnages, l’agencement des objets changent. Et ces changements ne manquent pas de renvoyer la conscience du sujet au présent et au passé. Comme si ces rêves racontaient un itinéraire tout en semblant dévoiler un horizon. C’est en cela qu’ils paraissent être des marqueurs du temps du sujet.
Maisons du passé, maisons du futur…
Le jeune ingénieur qui rêve d’une chambre vide après avoir traversé une pièce en désordre, marque un passage au fil du temps.
- Une femme, la quarantaine, se retrouve en rêve dans la maison de son enfance. Elle y reconnaît les meubles, les peintures, l’ambiance. Mais cette maison est plus vaste que celle de son enfance. Elle continue son exploration et découvre de nouvelles pièces aux ambiances différentes. Elle y trouve une atmosphère agréable surprenante.
Elle vient de divorcer, Elle est anxieuse et très insécurisée par cette nouvelle vie qui s’amorce. Son rêve semble la rassurer sur ce futur qui se constelle sous la forme de ces pièces ajoutées à la maison d’enfance. L’installation dans sa nouvelle vie lui permet de se redécouvrir, désormais à l’abri des pressions nées dans la vie de couple. La nécessité de composer, de faire des compromis, la soumission à une image de parfaite maîtresse de maison. Toutes sortes d’attitudes et de comportements qui l’ont éloignée de ses rêves d’enfant, de sa nature originelle de jeune fille découvrant le monde. La maison d’enfance agrandie dévoile pour elle des potentialités de se retrouver dans son authenticité d’individu, indemne de toute aliénation conformiste. L’installation dans sa nouvelle vie se révèle conforme au dessein du rêve. Se sentant désormais libre, elle retrouve un élan et un enthousiasme qu’elle croyait à jamais perdus. La maison d’enfance métaphorise les sources de sa vie, les nouvelles pièces celles du futur.
Les images d’enfant, marqueurs du temps
Le repérage dans le temps et dans l’espace est important dans l’accompagnement des séquelles post-traumatiques. Quand nous devons faire face à des situations difficiles ou singulières – changement de situation matrimoniale, déménagement, etc. – qui imposent la prise de décisions susceptibles de changer la situation présente. Les décisions et actions conduites par la conscience réflexive ne vont pas forcément dans le sens d’une pérennité de la stabilité émotionnelle. Il se peut alors que nous soyons mis en alerte par des rêves plus ou moins chargés en émotions. Ces derniers tendant à
attirer l’attention sur la nécessité de modifier notre ligne de conduite. La société, ses règles, ses contraintes nous obligent constamment à négocier entre l’équilibre intérieur et les nécessités du moment.
Certains rêves nous ramènent alors vers d’autres moments de la vie passée, manière pour le Gardien du sommeil d’attirer l’attention vers ces territoires anciens car ils peuvent nous éclairer sur la bonne voie à prendre au futur.
Quand s’est formé un complexe traumatique, le sujet perd une partie de sa lucidité dans la prise de décision. Sous l’emprise des bouleversements provoqués par ce complexe, de nombreuses décisions risquent d’altérer le processus homéostasique. Les rêves et cauchemars indiquent alors à quel point il paraît important de modifier les lignes de conduite. Les indicateurs temporels montrent à la conscience comment et où trouver des solutions rectificatrices.
Retrouver l’enfant intérieur
- Noémie rêve qu’elle est dans sa maison d’enfance, rien n’a changé. Dans le salon, elle rencontre des personnages inconnus. Une femme l’interpelle et lui montre une petite fille quelle ne connaît pas. La femme lui dit qu’il s’agit de sa fille et quelle doit s’en occuper. L’enfant paraît avoir 3 ans, voire un peu moins. Elle est désemparée, elle se demande comment elle va s’y prendre. « Je ne me sens pas de m’occuper d’une petite fille de cet âge ! » Réveil, angoissé.
Ces rêves sont très importants pour évaluer où en est le sujet de la réparation des séquelles traumatiques. Nous y reviendrons de manière approfondie dans la troisième partie dédiée au Rêves et trauma. Ici, nous nous contenterons de signaler l’importance du marqueur temporel et où en est le processus de cautérisation des blessures. Le rêve suggère une voie de guérison :
- Retour dans la maison de l’enfance ;
- Nécessité impérieuse de prendre en charge SA fille âgée là de 3 ans ou à peu près.
On sait déjà, grâce au travail thérapeutique antérieur que le trauma a été provoqué par des offenses sexuelles dont l’acteur était le compagnon de la Grand-mère paternelle. Noémie a actuellement 52 ans, les offenses sexuelles semblent avoir débuté quand elle avait un peu plus de 3 ans et ont duré jusqu’à ses 7 ans. Elle n’a que de vagues souvenirs de cette période. Parfois des réminiscences la ramènent à des moment angoissants. Elle revit des moment où elle se sent écrasée, manquant d’étouffer. Ces images troublantes reviendront plus tard dans des cauchemars… Nous verrons plus tard ce que cela suggère de son évolution vers une réparation des blessures traumatiques.
La maison d’enfance représente un lieu où elle se sentait en sécurité. Les prédations se produisaient chez la Grand-mère. Elle se souvient de ses terreurs quand les vacances approchaient et qu’il fallait aller dans ce lieu de supplices.
S’occuper d’une enfant de trois ans, à son âge, évoque qu’il lui faille revenir dans ces lieux de l’enfance pour y retrouver l’enfant qu’elle était. Comme s’il s’agissait de retrouver ce cycle de vie aux instants où la vie allait s’épanouir sans altération.
Cela pourra se faire de différentes manières, soit par l’Imagination active, soit par des techniques comme l’EMDR, soit par la conduite de rêves lucides reprenant ce type de rêve.
Enfin, c’est important, que le rêve révèle la nécessité de prendre en charge l’enfant intérieur est corrélatif d’une possibilité de cautérisation des blessures. Que le praticien indique cela à la personne est de toute première importance car le désespoir et les renonciations associés aux souffrances présentes pourraient ne présenter qu’un futur très sombre, comme sur un territoire de mort.
Revisiter des séquences de vie
Émilie, 35 ans, ingénieure, a subi un viol 18 mois auparavant. Le prédateur est un de ses collègues. Depuis, elle est en arrêt maladie, soignée pour une dépression profonde. L’accompagnement médical lui permet de retrouver une sommeil réparateur et un meilleur appétit. Elle reprend peu à peu la marche et les sorties en montagne. Elle notre régulièrement ce qui se passe en elle dans un carnet de bord et, depuis quelques semaine les rêves reviennent, des cauchemars parfois.
Elle a déjà amorcé une thérapie, un an après les faits. Elle ne sent pas assez solide pour porter plainte.
- Elle se rêve dans une sorte de gymnase, elle est là pour un cours de danse. Il y a quelques danseuses qu’elle ne reconnaît pas. [Coupure de la séquence] Quand le rêve reprend, elle est au volant de sa voiture. Deux jeunes filles sont avec elle. Elle comprend qu’elle les ramène chez elle. L’ambiance est agréable, elles échangent beaucoup durant le trajet. Elle perçoit une grande familiarité avec ces filles. L’une d’elle a 6 ans environ, l’autre autour de 15 ans
Nous nous en tenons aux marqueurs de temps, l’âge de chacune des filles. Dans ce cas, deux sortes de questions s’imposent. Quand vous aviez 5 ans, quand vous aviez 15 ans, quels faits ou événements marquants se sont produits ?
Il y a 5 ans ou il y a 15 ans, qu’est-ce qui serait produit de significatif dans votre vie ?
À la première question elle associe immédiatement : « À 5 ans, j’ai commencé la danse. J’ai progressé jusqu’à intégrer une petite compagnie qui produit 1 ou 2 spectacles par an. Cette année, je n’ai rien pu faire… ! »
À la deuxième question : « Il y a 15 ans, j’avais 16 ans, c’est à cet âge que j’ai intégré une première compagnie de danse. Le premier ballet auquel j’ai participé m’a apporté beaucoup de plaisir et de fierté. »
L’échange se poursuit sur sa tristesse de ne pas avoir eu l’énergie pour participer aux répétitions de sa compagnie actuelle. Cette une très grande frustration !
Ce sentiment même tristesse, elle pleure, et colère. Colère contre son agresseur, son employeur qui fut informé et qui n’a rien fait…
Deux indicateurs de temps qui révèlent également une voie à suivre. Retrouver le chemin d’une découverte plaisante, 5 ans, une aventure qui pourrait durer.
La frustration et la colère liées au constat d’un renoncement qu’elle ne peut accepter. Il y a assez de ressources dans cette colère pour réagir contre la soumission. Retrouver sa dignité et se mobiliser pour entreprendre les actions importantes : entreprendre des actions dans son entreprise, porter plainte sûrement…
« Les rêves […] peuvent quelquefois annoncer la survenue de situations bien avant qu’elles ne se produisent. Beaucoup de crises, dans notre vie, elles s’enracinent, inconscientes, dans notre histoire, elles serpentent silencieuses au tréfonds des sédiments de notre histoire. Nous nous acheminons vers elles pas à pas, sans avoir conscience d’un danger qui guette. Mais ce qui échappe à notre conscience est toujours perçu par l’organisme qui peut nous transmettre l’information au moyen du rêve. » (L’homme et ses symboles, 1964, p. 50/51)
Des voies de dialogue
L’avancée des neurosciences nous a ouvert des perspectives qui étaient réservées à des pratiques alternatives, dépréciées par la doxa. La méditation de pleine conscience est un de ces outils. Il facilite la nécessaire porosité entre les différentes instances de la conscience. La méditation améliore certaines fonctions cérébrales. Les études menées par l’équipe de Richard Davidson, à Madison, Wisconsin, montrent qu’un entraînement soutenu à la méditation de pleine conscience accroît les capacités de concentration et de mémorisation. « D’autres études montrent que la pratique de la compassion augmente la synchronisation des ondes cérébrales entre des parties très éloignées du cerveau. Or la synchronisation est l’un des phénomènes essentiels de la conscience. » (Antoine Lutz, Le Point, n° 2473, juillet 2017)
L’Imagination active est un autre outil. Il s’agit de reprendre dans une séance de méditation le contenu d’un rêve ou des images intérieures en les laissant dévoiler un scénario différent de celui du rêve. Cette approche se poursuit logiquement sur des pratiques d’imagination créatrice. Comme support, la peinture, l’écriture, la danse, le théâtre, etc. on s’inspire ainsi du contenu d’un rêve, d’une image intérieure, voire d’une
émotion intrusive et on transpose. (I. Kieser el baz, 2023, De la fonction transcendante à l’Imagination active, Cavacs-France)
Témoignage de Fugen
- « Imagination active sans guidance c’est effectivement assez difficile. Étant peintre je suis également quelqu’un qui a énormément besoin de cadre pour mieux en sortir. Il y a quelques années j’ai voulu expérimenter une méthode de travail qui s’apparentait à la « peinture automatique » et ce fut assez douloureux même si très productif. Mon besoin d’image concrète me poussait jusqu’à craquer et là, toujours, apparaissait une image significative. Je savais que je mettais la barre trop haut car je voulais y arriver. Dans l’atelier dont je m’occupe avec des personnes handicapées je me rends compte qu’eux aussi ont besoin d’un cadre à partir duquel on peut s’éloigner. Il y a aussi (malheureusement je ne pratique pas) une méthode pour entretenir le flux sans attente. C’est bien l’attente de résultat qui nous inhibe le plus. Chaque jour produire une esquisse, deux pages, un objet, même n’importe quoi. Entretenir le geste jusqu’à en devenir automatique, systématique. Le nouveau arrive alors quand on ne l’attend plus. Un conseil que je me donne à moi-même. L’imagination créatrice c’est ce qu’il faut nourrir : lectures, expositions, balades… »
Enfin le rêve lucide présente une autre voie d’échange entre la conscience et les strates profondes de l’organisme. C’est une autre manière d’appréhender les mécanismes complexes de régulation de l’esprit. En fait la présence d’une forme de lucidité dans les rêves est spontanée dans l’enfance. Beaucoup d’enfants en témoignent. L’usage du jeu pour figurer des contenus oniriques est également spontané chez l’enfant.
De nombreuses études sont menées actuellement en neurophysiologie pour découvrir les effets du rêve lucide. Parvenir à cet état de lucidité nécessite un peu d’entraînement mais ne présente pas de grandes difficultés.
Ces pratiques s’intègrent dans la vision particulière de la cognition qu’a développée F. Varela, l’énaction. Cette conception dynamique de l’Esprit enracine la cognition à la fois dans les origines de la vie grâce au concept d’auto-création – l’autopoïèse – et dans l’expérience vécue au quotidien. L’idée centrale de l’énaction est que les facultés cognitives se développent parce qu’un organisme interagit en temps réel avec un environnement donné. Si les sens permettent d’énacter des significations, c’est-à-dire de modifier notre environnement, ils sont en permanence façonnés par ce dernier. Le Gardien du sommeil se présente alors comme un médian traducteur de ces mécanismes complexes qui associent l’ensemble des structures sensori-motrices d’un organisme et de ses capacités d’actions « réfléchies » « couplées » à un environnement particulier.
On ne laisse échapper aucun détail
Le travail d’enquête sur le contenu du rêve doit se porter en détail sur tous les éléments du rêve. Il est important que l’observateur prenne une distance par rapport aux contenus émotionnels parfois très violents. L’anthropomorphisme nous éloignerait de la qualité première de ces contenus.
Les émotions qui enrichissent le rêve ou un cauchemar montrent la plupart du temps que le Moi/Conscience – il s’agit du Soi autobiographique ou conscience étendue selon Damasio – est assez solide pour assimiler le message et en tirer parti. Il convient néanmoins de rester prudent. C’est en ayant une connaissance approfondie de l’état du sujet que l’on peut décider de travailler un rêve sans danger de déstabilisation.
On peut faire l’analogie entre les dessins pariétaux et les images des rêves. L’analogie est toujours pertinente s’agissant d’en examiner plus précisément le contenu. Si nous lisons ou écoutons l’histoire d’un rêve, au lieu d’en décrypter le récit, à la recherche
d’un sens mystérieux, nous laisser emporter par la poétique que ce rêve révèle est bien plus profitable pour le sujet. Il n’appartient pas au praticien d’en savoir plus que le sujet. Cette poétique faite de métaphores en dit souvent bien plus long pour lui que pour nous. Il nous arrive parfois, comme praticien, de ne pas saisir un sens à partir de ces métaphores, de ces images qui les accompagnent. Pourtant on entend notre interlocuteur nous dire :
« Ça me touche beaucoup, je ne sais pas pourquoi mais c’est là ! » C’est vrai, les rêves n’ont aucun sens… ! Pour notre esprit rationnel ! Mais ils en ont un pour une instance de notre conscience qui sommeille derrière l’écran de la raison. Le Gardien du sommeil dévoile, dicte, ouvre des voies. Le mieux pour notre conscience rationnelle est de laisser parler. Comme un chant d’oiseau, dans un bois, sans une attention particulière, nous entendons de multiples sifflements indistincts. Avec un peu de cette attention si particulière qui permet à la conscience vigile de s’orienter différemment, nous parvenons soudain à localiser le siffleur, à n’entendre que lui, suivant son vol et ses appels.
Le rêve n’a pas de sens, c’est un chant d’oiseau !