Les traumas de l’enfance

Approche générale

Pour aborder la question des troubles psycho-traumatiques consécutifs à des violences subies dans l’enfance, nous prendrons l’exemple des violences sexuelles. Parmi les violences qu’un.e enfant peut subir, ce sont les plus marquantes et celles qui atteignent le cœur même de l’édification de la personnalité.

Les crimes « pédophiles » souvent évoqués dans les medias, spectaculaires, odieux et souvent barbares sont, en fait, rarissimes au regard d’une pédocriminalité rampante, dite intra-familiale, qui touche des dizaines de milliers d’enfants par an, en France. On ne peut qu’être frappé d’un tel slience.

Avant de partager une expérience clinique qui réponde à de légitimes préoccupations je ferai le point sur les modalités environnementales, événementielles et « somatopsychiques » qui entrent en jeu dans la prédation sexuelle ou dans les cas de maltraitance.  Nous allons d’abord tenter de comprendre comment l’organisme interagit dans un milieu donné. Comment, à partir de là, comprendre l’impact d’un trauma.

Une Vision Globale psyché/soma — individu/collectif — passé/présent/futur

Pour faire bref, l’entité humaine interagit constamment avec l’environnement que je nomme ici Réalité physique objective. (Une approche similaire est présentée ailleurssur ce site à partir des travaux de Antonio Damasio) De même, elle réagit et interprète ces éléments/événements pour en faire une vérité assimilable, cela devient la Réalité psychique objective. La capacité d’ajustement au plus près entre ces deux réalités dépendra des transmissions parentales, d’abord, culturelles ensuite — tout l’environnement social et historique, des transmissions généalogiques, etc. C’est dire que la relation entre ces deux réalités devra toujours être ajustée, réactualisée et c’est la capacité à opérer des ajustements constants, laquelle dépend de la relative souplesse psychique de l’individu qui rendra la vie prospère. Les parents jouent un rôle primordial dans ce sens. (À ce sujet, consulter les articles de Alice Miller qui demeure une référence bien différente de celle que F. Dolto a laissée) Leur rôle consiste à permettre à l’enfant de se libérer de son attachement puissant, souvent inconscient, à l’influence de son premier environnement, de telle façon qu’il puisse y choisir ce qui est profitable à sa vie adulte, à son épanouissement et rejeter ce qui ne l’est pas. Je nommerais Conscience l’instance qui permet ces ajustements d’une réalité à l’autre. De la naissance à l’âge adulte, les contacts à la Réalité physique objective permettront à la Conscience de se forger, de se consolider et de prospérer… Cette conscience est la base des comportements manifestes de la vie, ce que l’individu sait de lui-même. On fixait habituellement à 3 ans l’âge auquel la Conscience semblait naître. Il y a tout lieu de penser qu’elle est opérante bien avant, voire durant la vie intra-utérine.

La vie de l’enfant doit se développer dans un climat de compréhension, de calme et de constant soutien. Ces éléments contribuent à l’édification de la personnalité de l’enfant et c’est ainsi qu’il gagne en assurance, que sa curiosité naturelle contribue à l’enrichissement progressif de son expérience. Que se passe-t-il alors quand des accidents, plus ou moins graves, plus ou moins durables viennent perturber ce climat, ou bien que l’enfant ne bénéficie pas de conditions de développement  bienveillantes? Nous allons définir deux types d’atteinte et plusieurs qualités de choc/trauma, nous devrons également tenir compte du facteur temps – durée et fréquence des actes prédateurs :
Selon l‘âge auquel les actes prédateurs s’imposent, selon leur durée et les conditions qui permettront la fin de la maltraitance,la façon dont l’environnement réagira est d’une importance primordiale. Face à un crime quelconque, en principe, la société réagit grâce à des critères définis par des codes et des règles. En est-il ainsi s’il s’agit de faire face à la maltraitance de l’enfant ? Quels actes la société pose-t-elle pour faciliter la cautérisation des blessures de l’enfance ?

Nous devrons toujours envisager la prise en charge des blessures de l’enfance selon deux angles :


  • L’angle individuel, psychique et somatique ;

  • L’angle social, reconnaissance des blessures et contribution à leur réparation. 

Nous pouvons aussi postuler l’existence de plusieurs niveaux d’atteinte — tout comme la psyché se développe en strates successives — qui se fondent sur l’axe Passé-Présent-Futur. L’enfant accumule des expériences, il se forge une identité à partir de ces épreuves de la vie et c’est ce qui fonde son désir d’avenir. (Sans référence partisane)Que se passe-t-il quand un événement qui perturbe cette progression ? Ce n’est que dans une période récente que la psychologie a pris conscience de la multiplicité des facteurs traumatisants susceptibles de perturber l’évolution de l’enfant. Auparavant on ignorait la variété des facteurs traumatiques et, de ce point de vue, la psychologie demeurait relativement archaïque. Pour beaucoup d’événements perturbants on en restait encore à une sorte de psychologie qui banalisait nombre de chocs et ignorait les séquelles sur la vie adulte. « Bah, il s’en relèvera ! », entendait-on souvent…La prédation sexuelle sur l’enfant est un de ces faits qui fut longtemps ignoré. Il n’est pas dit qu’il soit, actuellement, évalué justement, à la mesure des séquelles qu’il induit. 

Comment s’opère la prédation, selon quels modes et qu’elles en sont les processus ?

Atteinte Brutale — irruptive — très violente

Elle est le fait des prédateurs pédocriminels/rapteurs isolés. Ils connaissent rarement leur victime, ils opèrent selon un mode opératoire qui leur est spécifique. L’issue en est, malheureusement, le plus souvent fatale. Le cas du petit Inès – affaire Evrard – est exceptionnel.Mais on rencontre également un mode opératoire violent et bref dans le cas de viol d’adolescentes ou d’adolescents.
Deux enquêtes, l’une générale, l’autre dans les milieux sportifs montrent que ces prédations ne sont pas exceptionnelles. Les violences sexuelles en France, quand la parole se libère  et Violences et agressions sexuelles dans les milieux sportifs. Les résultats sont consternants et devraient nous alerter.
Nous savons, et les enquêtes le montrent, que la prise de parole et la libération par un signalement favorablement accueilli par la société sont primordiales pour un bon déroulement du processus de réparation. La reconnaissance du crime ou du délit par la société est une composante indispensable du processus thérapeutique, il en est un élément parmi d’autres.Dans le meilleur des cas, si le milieu réagit positivement, la blessure est rapidement nommée, elle est alors localisée dans le temps et les facteurs lésionnels judicieusement-juridiquement nommés. La famille et l’environnement global réagissent de concert et de manière cohérente. L’enfant est assuré qu’à aucun moment il n’y aura malentendu, ambiguïté ou suspicion à l’encontre de sa parole. La société assume alors pleinement sa responsabilité, elle offre à la victime des moyens d’écoute, de reconnaissance, de soins et de réparation. La thérapie qui s’ensuivra aura toute les chances de restituer à l’enfant une intégrité psychique gravement lésée. (Je ne parle pas ici des déclarations fracassantes des politiques qui sont bien plus des instrumentalisations de la douleur de la victime qu’un réel et efficace support de réparation. Un exemple d’instrumentalisation de la vicitime : la victime, maintenant adulte, du cinéaste Roman Polanski qui suffoque du harcèlement médiatique et hurle sa détresse devant le tapage mediatique au point de demander que l’on en finisse au plus vite, est exemplaire. La responsabilité de la société est aussi engagée sur ce point. Les politiques savent-ils que, dans ce cas, ils réitèrent une forme de manipulation que la victime a subie du prédateur ?)

Malheureusement la parole ne se libère pas facilement, pour des raisons que tous les observateurs savent repérer : culpabilité, accueil déficient de la société — des enquêteurs en premier —, lenteur des procédures, humiliations des confrontations, inexpérience des acteurs sociaux, etc. Les circonstances relevées par l’enquête localement restreinte sur les milieux sportifs nous montrent que de nombreuses victimes n’ont pas le bonheur de profiter d’une relative compréhension globale : peur de dire, culpabilité, chantage, etc. Nous nous retrouvons alors dans le cas de prédations que la société ne prend pas en compte — cf. chap. suivant — et sur lesquels cette dernière s’aveugle même. (L’enquête qui date de 2006 devait être étendue à tout le territoire… nous attendons toujours…)
Les prédations qui se concluent par une issue létale sont rares, ce sont pourtant elles qui attirent le plus l’attention et qui débouchent sur des mesures qui ne concernent que de loin les prédations domestiques ou de voisinage… Les prédations commises au sein même de la famille demeurent masquées par un gigantesque silence qui sonne comme une indifférence.

Atteinte précoce, répétée, durable, impunie

Le mode opératoire sera pernicieux, fondé sur le calcul, l’observation et la domination de la victime.Le prédateur agit selon un cycle parfaitement défini : CaptationProgrammationEmprise. Cela concerne des prédateurs de proximité, de voisinage, ils peuvent appartenir à la famille…Ce sont les plus nombreux, les plus manipulateurs/calculateurs, les plus masqués, les moins condamnés car leur mode opératoire fondé sur la programmation leur permet de créer un personnage qui, par anticipation, visera à miner la crédibilité des témoignages et du signalement. Ils sont toujours hors de tout soupçon, voire hors d’atteinte grâce à un statut social qui les protègera… Ce sont les cas qui soulèvent le plus l’indignation de l’entourage et des défenseurs des droits de l’enfant. Ces cas se signalent par la plus grande disparité dans la qualification du crime et par les condamnations. Comme si le juge, dans ces circonstances, manifestait, soit le plus grand désarroi, soit une volonté délibérée d’ignorer ou de banaliser le crime (On correctionnalise de plus en plus souvent les viols). On peut réunir des milliers de témoignages qui attestent de la volonté du juge – par conséquent de la société globale – de requalifier le crime — un viol — en un délit mineur. (À mon simple niveau de clinicien indépendant, j’ai reçu, durant l’année 2008, 150 signalements, dont 80% me semblaient imposer une réaction rapide sur la base d’une enquête approfondie. Or, les témoignages me rapportaient que rien de tel n’était envisagé dans des délais courts) La recherche de la preuve matérielle est un argument souvent opposé à ceux qui souhaitent des réactions rapides, Or les expertises médico-légales sont fréquemment tardifs. Il n’y a plus de preuves physiques attestant alors d’une prédation sexuelle. De toute manière, la recherche de la preuve maérielle ou physique n’est qu’un artifice qui masque le mérpis fondamental de l’Institution pour ces crimes. Ce qui m’a fait écrire que nous sommes en présence de crimes contre l’humain, doublé d’un crime institutionnel.

Le processus de réparation procède autant d’une reconnaissance de la société que d’une prise en compte personnelle. Il ne suffit pas de « faire une thérapie », il faut aussi que la société globale assume ses responsabilités, d’autant plus que, dans ce cas, la personne assume seule la charge des frais d’une thérapie. De nombreux « savants », juristes le plus souvent, nous rétorquent que la Justice ne peut pas être une thérapie. La réduction grossière ainsi opérée démontre une totale incompréhension de ce qu’est La reconnaissance du crime par la société. Reconnaissancepourtant immédiate et naturelle accordées aux victimes d’autres crimes et délits. Un tel cynisme ne fait que démontrer un peu plus la banalisation des crimes sexuels. Un témoignage de l’aveuglement de l’entourage est donné par le livre de Toni Maguire, Ne le dis pas à maman.
Je souligne donc :

L’Importance primordiale de la réaction du milieu

Du plus proche au lointain, jusqu’à la société globale, aucun effet thérapeutique n’est consolidé si le processus de réparation n’intègre pas la validation des paroles de la victime.

1. La captation 

Le prédateur installe tous les éléments qui favoriseront sa future programmation d’une maltraitance sexuelle, incestueuse ou de maltraitance physique. J’ai relevé de nombreux cas où l’homme avait nettement choisit la mère de ses enfants dont il tirera un profit criminel après avoir, au préalable, soumis son épouse à une emprise mentale si puissante qu’elle sera incapable de réagir avec un minimum de discernement. Dans des circonstances plus communes, celle d’une famille, apparemment sans histoire, l’homme – 98% des prédateurs – choisit sa victime très tôt, il la préparera tout en créant autour d’elle les conditions de vie qui faciliteront la prédation : prendre l’habitude du bain commun avec l’enfant, imposer des règles douteuses très tôt sous des prétextes très rationnels – initiation à la sexualité, par exemple, voire très pédagogiques, imposer l’habitude de visites tardives et inopinées dans la chambre de l’enfant durant la nuit, autant de manières de brouiller les pistes auprès de son épouse et de tout l’entourage… La captation détourne l’attention de l’entourage, elle installe un climat d’aveuglement à toute la maisonnée qui s’installe dans une relative inconscience des événements qui se produiront plus tard. Cette phase n’est pas dénuée de comportement de séduction à l’égard de l’enfant et de l’entourage. Le prédateur pédosexuel use volontiers de séduction. Ce n’est que contrarié ou découvert qu’il peut devenir dangereux et très violent.

2. La programmation 

Le crime est programmé dès que le prédateur est certain que tous les éléments de la vie peuvent lui assurer une invisibilité certaine. Les manigances manipulatrices des premier temps de la prédation, pour peu que celle-ci éveille quelques soupçons, suffiront à détourner l’attention. Le mécanisme d’emprise commence à ce moment. L’entourage perd toute forme de conscience voir de réactivité même si certains faits peuvent paraître troublants. L’aveuglement est installé, le prédateur contrôle toute la vie de la maison ou de l’environnement dans lequel il exerce son acte. (Processus fort bien décrypté par le film Les garçons de St. Vincent, dans l’affaire d’un couvent sur l’ile de Jersey, dans celles, plus récentes, des écoles des monastères catholiques en Irlande) Cette programmation vise trois buts, en dehors de l’assouvissement d’une pulsion morbide :

l’isolement de la victime, 

le contrôle total de l’environnement,

la consolidation du personnage socialement irréprochable du prédateur. (Un processus identique se retrouve dans des affaires matrimoniales qui concernent des adultes : le cas des manipulateurs narcissiques)

3. L’emprise 

Dans le face à face qui oppose le prédateur à sa victime, l’emprise s’installe. Celle-ci pourra durer bien au-delà des faits criminels eux-mêmes. Cette durée dans le temps, quelque que soit la distance qui pourrait s’interposer entre le prédateur et sa victime, est un phénomène largement ignoré des spécialistes, même si, de nombreuses victimes s’en font les témoins. Ce phénomène d’emprise qui peut donc durer dans la vie de l’adulte est si puissant et indéracinable que certaines victimes en sont l’objet leur vie durant. Durant le processus psychothérapique, il peut devenir un puissant freinateur. Les modes opératoires de l’emprise seront multiples, ils reposent sur :

L’association perverse de la victime à la prédation : « Ce sera notre secret ! »

La violence, les coups, les menaces, le prédateur installe une peur suffisante pour taire toute velléité de révolte.

Le chantage, souvent mortifère : « Si tu en parles tu vas détruire toute la famille ! »

La négation de la parole de la victime, pour peu que celle-ci ose parler

Le double jeu du prédateur : hors de tout soupçon, dont le personnage social passé à la laque rend la victime impuissante, incapable de se révolter : « De toute manière, quoique je dise, personne ne me croira ! »

L’extrême réactivité du prédateur aux mécanismes de vie d’un milieu donné est fascinante. Elle n’a dégale que celle des grands criminels en série. La comparaison ne me paraît pas exagérée.

Comment l’onde de choc se propage-t-elle ?

J’aborde ici brièvement la question du processus traumatique des symptômes immédiats à des processus pathologiques chroniques qui signalent les perturbations importantes dans la structuration de la personnalité. J’y reviendrai plus en détail dans d’autres articles. 

Voici quelques lois que mon expérience me permet de poser :
Il y a proportionnalité entre la précocité, la durée, la séduction (absence de violence pour établir a captation) et la profondeur et l’étendue de la lésion. La réaction doit être immédiate sinon la structure de l’entité humaine est profondément atteinte, parfois gravement lésée. Le processus de réparation sera d’autant plus difficile à mettre en place et à se consolider que la victime sse sera trouvée enfermée dans l’impossibilité de communiquer. Cela résulte de l’isolement installé dès les premiers instants de la captation. Si le signalement –  par un tiers ou par la parole de la victime – n’est pas rapide les lésions s’installent. Des manifestations ostensibles d’une atteinte traumatique on passe à une mise en latence des effets du traumatisme, en fait, la lésion s’organise dans les strates profondes de l’organisme et ce qui apparaissait comme un déséquilibre de comportement chez la victime se développe en personnalité plus ou moins adaptée.Tout se passe comme si l’enfant, devenu adolescent, plus tard adulte, semblait avoir développé une sorte de capacité à surmonter ses souffrances. C’est le malentendu le plus terrible que pourrait induire une mauvaise interprétation du phénomène de résilience.
Paradoxalement plus la captation repose sur des facteurs violents et sur la coercition plus il est possible d’accéder à la lésion (dire, nommer, mémoriser…) La société propose, en effet, des codes pour réagir à ces violences. Les signalements de violences physiques sont plus régulièrement pris en compte. (Fréquence de la preuve, marquée au corps, mais pas seulement) Il existe, par contre, moins de codes pour faire face à la séduction meurtrière. Les effets de la blessure s’étendent du proche au lointain, de la surface à la profondeur ils ne s’estompent pas dans le temps. Leurs effets et leurs conséquences ont tendance à devenir chroniques. Des manifestations « superficielles » ou aiguës d’affectation de l’humeur, on passe à des comportements instables, voire asociaux – lesquels, d’ailleurs servent de preuves à l’affirmation de fausses accusations reposant sur des souvenire induits… De la manifestation psychique de souffrances aiguës, on passe à des pathologies chroniques. L’atteinte psychique, la déformation opérée sur la structuration de la personnalité de l’enfant se révèlent par des atteintes somatiques qui rendront alors le crime quasi invisible. Cette fragilité physique pourra même être utilisée par le prédateur s’il doit un jour se défendre des accusations rendues possibles par une prescription de 20 ou 30 ans selon les États.
De plus, nous disposons de peu de moyens cliniques associant certaines maladies chroniques à une prédation prolongée dans l’enfance. (Maladie de Crohn, par exemple)

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