Faire face, les objectifs

On a pour habitude dans l’approche des psycho-traumatismes de viser les symptômes au fur et à mesure de leur manifestation. Or l’atteinte traumatique est globale et elle influence des systèmes très complexes du psychisme au corporel, toute la chaîne de contrôle du stress au cœur du cerveau, le système immunitaire, le système endocrinien le système digestif (la maladie de Crohn est souvent diagnostiquée, dysfonctionnement de la thyroïde), etc. L’approche globale impose une vision différenciée des thérapies mises en œuvre. C’est un ensemble de thérapies qui doit être mis en place de façon cohérente. Reste à savoir comment organiser la liaison entre celles-ci. Dans une société ou les ‘médecines’ fragmentent le patient qui devient un ensemble d’objets et qu’elles sont de plus en plus spécialisées, seul le sujet est en mesure d’assurer cette liaison, pour peu qu’il soit informé de la manière dont peuvent évoluer les symptômes et qu’il soit mis à sa véritable place de sujet ‘disant’.

L’importance d’une approche du sujet, la notion de strates temporelles

Christine Courtois et Julian Ford (2015) fournissent une feuille de route très détaillée pour accompagner les survivants adultes de traumatismes psychologiques complexes. Leurs recherches pour aider les sujets à guérir d’une atteinte post-traumatique leur ont permis de montrer que le sujet adulte soufrant de détresse post-traumatique traverse trois phases clairement définies durant le processus de guérison. (Voir également mon article consacré à un ouvrage de Christine Courtois)

Phase 1 : Safety, Stabilization and engagement – Measured in skills
Phase 2 : Trauma Memory, Emotion processing
Phase 3 : Application to the present and future


En observant des sujets, tout au long de leur accompagnement, j’ai pu également distinguer plusieurs phases dans l’évolution de l’accompagnement des adultes rescapés de traumas. Il ne s’agit pas de distinguer des phases d’une progression linéaire, du pire vers le mieux… L’évolution paraît même parfois chaotique. Il y a des raisons à cela.
Deux temps :

Premier temps

Consolidation de l’espace conscient – renforcement de l’image soi – nouveaux apprentissages et premières inflexions comportementales – premières cautérisations des blessures du passé

L’action thérapeutique passe d’abord par la cautérisation de la lésion et cela n’est rendu possible que par le renforcement préalable de cette structure que l’on nomme conscience de soi. (Damasio) Une fois le facteur traumatique passé, chaque sujet développe sur son territoire de vie une sorte de pôle d’excellence. Chez la plupart des sujets souffrant de traumatisme il existe un champ de vie dans lequel toutes les ressources sont mobilisées et opérationnelles. Il arrive même parfois que certaines facultés y soient démultipliées. Il s’agit d’un phénomène compensatoire qui découle de l’utilisation de l’énergie bloquée par la zone traumatique et ainsi rendue disponible pour un usage particulier.
Ce champ d’activités optima a échappé aux séquelles du trauma et le sujet l’a construit avec ses propres ressources. Sur ce territoire il échappait donc à l’emprise du prédateur.
Par exemple, ce sera l’activité professionnelle pour certains, pour d’autres ce sera un loisir, un sport, une activité culturelle, cependant que certains s’investiront dans un outil de créativité. Sans soutien ni orientation ce champ se construit de manière spontanée sans soutien ni but défini, il risque alors de faire écran à la souffrance muette voire de favoriser le déni et une forme d’unilatéralisation de la conscience – une forme de rigidité psychique. La surcompensation apparaît dans ce domaine que le sujet protège car il le sent comme lui appartenant totalement. Y toucher sous quelque prétexte que ce soit peut provoquer des réactions violentes d’opposition et de retrait car le sujet se sent menacé dans ce qu’il a créé. Car la menace ancienne est encore présente même si elle n’est plus physique. Or il dispose désormais de ses capacités d’adulte pour faire face à cette « effraction » d’où, parfois la puissance de la réaction. (J’ai souvenir d’une jeune femme qui m’avait rapporté qu’à ce moment-là elle s’était sentie menacée dans son existence même. Elle comprenait intellectuellement ce qui se passait mais la peur de la mort l’emportait.
À partir du témoignage de la personne reccueilli pas à pas, on peut dresser une carte de cet espace libre et s’en servir pour amorcer un processus de réparation… C’est à partir de l’observation de ce domaine préservé que l’on pourra conduire une progressive reconnaissance de soi par le sujet en prise avec ses craintes, ses anxiétés et, surtout, son hyper-vigilance.

Il s’agit donc de consolider cette part du présent, ce qui contribuera à revaloriser une image de soi souvent déficiente. Et c’est à partir de ce territoire familier que le sujet pourra conduire des explorations à ses frontières, voire en dehors mais uniquement sur la base de ses pôles d’excellence qui auront été repérés auparavant.
Ouvrir les curiosités, refaire un chemin que le trauma à occulter. ce sont les premiers pas dont le sujet pressent qu’ils s’orientent vers un meilleur équilibre de vie.

Deuxième temps et troisième temps

Élargissement – structuration – intégration – ré-exploration du passé – Inscription au temps

Élargissement

Élargir le territoire de vie c’est permettre au sujet de s’appuyer ce qu’il considére comme lui appartenant en propre, cette part de vie qu’il aura construite en dehors de toute forme d’emprise. Cet élargissement  est fait à petits pas et sur la base d’un apprivoisement de l’instinctivité primaire, là où les organes des sens produisent un retour à la confiance en ses propres ressources. Cela va d’une réappropriation de l’autonomie vestimentaire, alimentaire, culturelle, etc. a des esquisses de construction d’un espace relationnel nouveau.

Structuration

Sur ces lieux intérieurs l’entreprise de restauration de l’être peut trouver des appuis et des modèles. C’est en revalorisant leur place que le sujet parvient à sortir du premier dédale de ses souffrances en éprouvant le caractère positivant de la restauration de l’image qu’il a de lui-même.Tels pourraient être les premiers pas d’un être qui fut longtemps le pantin passif d’un chaos terrifiant et qui conçoit enfin qu’il lui est possible d’être acteur de sa construction.

Intégration

Désormais plus autonome et agent, le sujet peut songer à l’intégration progressive des strates de son passé à sa vie présente. Le sujet ne se sent plus ni sale ni honteux de cette vilaine blessure, si elle demeure une marque de son passé, elle n’est plus un lien d’emprise.Je demandais à une jeune femme pourquoi elle ne parlait pas des maltraitances subies dans l’enfance à son ami : « Parce que j’ai honte ! », me répondit-elle. L’intégration, c’est la possibilité enfin présente de retrouver les espaces de honte comme parties intégrantes de l’histoire personnelle sans crainte, ni haine ni déni.

Ré-exploration du passé

Qui correspond à la phase trois de Christine Courtois, Application to the present and future. Une fois ce travail d’intégration effectué, le travail d’histoire – celle de soi – peut s’achever en permettant au sujet de s’approprier le déroulement de sa propre histoire. Désormais, cette reconstitution ne dépend plus des autres, les parents, les souvenirs des autres, etc. ni des lambeaux de la mémoire traumatique, flashback, fantasmes, rêves, etc. mais d’une mémoire dont il se sera réappropriée l’étendue à mesure de sa progression. Selon la violence du trauma et sa durée, cette mémoire présentera des plages vides qu’il sera impossible de combler et cela sera probablement irréversible mais ce manque, ce vide d’histoire ne sera plus la source de menace qu’il était auparavant. La mémoire épisodique peu à peu reconstituée dans le fil de l’histoire permet à l’individu de se voir en tant qu’acteur des événements mémorisés. Le sujet mémorise non seulement un événement qu’il a vécu, mais tout le contexte particulier de cet événement. C’est cette composante de la mémoire qui est le plus souvent touchée par les amnésies consécutives à des traumas. De plus, si la charge émotionnelle vécue par le sujet au moment des faits demeure présente elle s’assume plus facilement. La parole est plus facile, effet d’une importance considérable dans la vie de relation, amitiés, couple… Une fois, tous les systèmes d’intégration et d’apprentissage restaurés, le sujet se retrouve en capacité d’être « complet », acteur de sa vie.

C’est le moment de redécouvrir le passé sans les submersions émotionnelles que le sujet a longtemps connu. Il ne s’agit ni d’un temps du pardon ni celui de l’oubli.

Inscription au temps

C’est aussi l’inscription dans un territoire. Les éléments de la vie se remettent en ordre et le sujet intègre de nouvelles expériences dont les affects sont débarrassés des scories du passé. Cela veut dire que l’événement présent peut être envisagé de manière lucide et pertinente car la conscience n’est plus polluée par les souvenirs du passé. Ce dernier n’est pas effacé ni nié dans son importance. Il se met à sa place, dans un temps donné, celui du trauma.Cependant la blessure occasionnée par le facteur traumatique et toutes les strates de vie qui se sont déroulées depuis n’ont pas bénéficié de l’accompagnement conscient dont elles avaient besoin. Au fur et à mesure que nous grandissons, nous acculons des expériences dont nous tirons des leçons. Cela nous permet d’ajuster nos comportements et nos attitudes en mettant de côté des préjugés, des craintes, des illusions. Quand une poche traumatique se constitue en complexe autonome, avec ses irruptions émotionnelles incontrôlées, une part non négligeable des expériences ne peut s’intégrer de manière optima. Il en résulte des vides dans la vie de l’individu rescapé, des incapacités sociales, créatives, intellectuelles… Il les lui faudra combler à mesure que sa vie reprend cours. L’analogie est celle des polytraumatisés, accidentés de la route qui doivent lentement réapprendre des réflexes habituels de la vie domestique, réapprendre à marcher, à articuler, etc.Une part importante de l’être est sortie du tunnel, elle réapprend la lumière. Et cela ne se fait pas en un jour ni par un coup de thérapie magique.

Illel Kieser el baz

Illel Kieser el baz, accompagne des rescapés de traumas depuis plus de 40 ans.